L’encre violette

Vous n’avez pas tous 42 ans de cotisations salariales, comme certains, mais vous avez tous connu l’encre violette.
Dans  le dernier tiers du XIXe siècle, une couleur symbolique fait son apparition, c’est en effet avec l’encre violette, préparée par l’instituteur, que les élèves font leurs premiers pâtés avec la plume d’acier, la plume Sergent major entre autres plumes.
A partir de 1850, la plume d’acier remplace la plume d’oie. Avoir une bonne écriture est aussi important que de respecter l’orthographe et de maîtriser les quatre opérations. L’encre violette est préparée par le maître à partir de grains solubles. L’instituteur, ou un grand de la classe, passe dans les rangs et remplit les encriers. L’encrier est alors en porcelaine et se trouve encastré en haut du pupitre de l’écolier. L’encre, à cause des taches indélébiles qu’elle peut occasionner, est redoutable pour les habits et pour les meubles : elle est à l’origine de la couleur foncée des tables et des bancs d’école, ainsi que des tabliers en satinette noire. 

Elle fleurait bon, peut-être, cette odeur d’encre violette qui, pour ma génération encore, reste associée au crissement de la plume Sergent-major sur les cahiers d’écolier, L’odeur de l’encre violette et de la craie sur le tableau noir est gravée dans la mémoire de bien des générations.
L’encre est violette pour l’élève, rouge pour le maître. L’encre noire est destinée à la correspondance administrative.

L’encrier, en porcelaine, puis ultérieurement en verre ou plus rarement en plomb, occupe le coin droit de la place de chaque élève. Il est rempli par le maître ou un grand élève en début de semaine. Aux vacances, il est débarrassé de ses impuretés ou des corps étrangers déposés par les élèves et nettoyé.

L’encre se mettait dans les encriers.
Elle se fabriquait à partir d’une poudre (Violet de gentiane) qu’on mettait dans la bouteille d’encre, puis on la mélangeait avec de l’eau. On secouait et l’encre était prête. L’encre qui était violette ne s’effaçait pas.

Il fallait aussi beaucoup d’adresse pour maîtriser l’écriture : bien doser d’abord la plongée de la plume dans l’encrier d’encre violette pour éviter les projections catastrophiques et s’appliquer ensuite aux « pleins » et aux « déliés » que permettait la souplesse de la plume d’acier et qui caractérisaient la bonne calligraphie. Tous les secrets de la belle écriture se sont perdus avec l’avènement des crayons-bille et des stylos, au cours des années 60. Le bon « buvard » était le complément indispensable.

La couleur violette a toujours été celle de la connaissance et de la sagesse. Elle désigne également l’autorité. Elle était aussi la marque de deuil à la cour de France et c’était et c’est toujours la couleur des draps posés sur le cercueil lors des cérémonies mortuaires. Cette couleur est aussi symbole de la spiritualité.
Né de l’union du rouge et du bleu, deux couleurs aux personnalités totalement opposées, le violet et les autres teintes de sa famille comme le mauve et le pourpre suggèrent tantôt mystère, richesse et délicatesse, tantôt malaise trouble ou provocation. Ces couleurs possèdent une sorte de double personnalité qui leur a toujours valu des réactions très variées. Le bleu et le rouge s’équilibrent dans le violet qui signifie ainsi l’amour de la vérité et la vérité de l’amour.
Les évêques sont vêtus de violet. Cette couleur est très employée dans toutes les religions car elle symbolise l’intense spiritualité, le pacifisme et l’originalité individualiste.
De plus, elle aide à combattre les sentiments d’infériorité ou de culpabilité. On affirme que le mauve calme les angoisses. Et cela permettait aux élèves de ne pas se sentir dès le départ en échec scolaire.
La couleur violette symbolise aussi la souffrance, la mélancolie, le regret et la pénitence. Elle crée donc une atmosphère spirituelle ou méditative, empreinte de sensibilité, de compassion et de créativité, toute chère à nos chers bambins.
Selon les psychologues de la couleur, le violet contribue à l’équilibre et est lié au sens artistique et musical, aux grands idéaux, à l’intuition et à la spiritualité. Cette couleur renferme une mélancolie certaine, mélancolie qui peut être source de création.
C’est ainsi que le violet est très utilisé dans l’art.
En poésie, il est très présent car il évoque un univers nostalgique et poétique: cela se vérifie par les nombreux poèmes y faisant allusion. Avec l’encre violette des écoliers d’autrefois, dont l’odeur âcre et la couleur appellent à l’esprit l’image bien connue du « Grand Meaulnes ». Avec aussi la mer violette, évoquée par Homère et par Marcel Proust en l’hommage à Homère, évidemment.
En peinture: le violet, couleur complémentaire du jaune, est souvent utilisé dans l’impressionnisme et dans l’abstraction lyrique.

Composition simplifiée actuelle d’une encre violette à faire chez vous :
Prenez : bois d’Inde 255 grammes, bière 100 grammes, eau commune 100 grammes, alun en poudre 65 grammes, sucre candi 65 grammes, gomme arabique 65 grammes;  faites bouillir pendant une demi-heure le bois d’Inde avec l’eau et la bière; décantez la décoction, jetez-la sur les poudres, en agitant de temps en temps pour les faire fondre, et l’on peut se servir de suite de cette encre.

Nota : l’encre violette de notre jeunesse était comestible. Je ne suis pas sur que l’encre proposée ici le soit…
 
 

Note technique :

Une encre de qualité se mesure par sa fluidité et sa fixité. Une texture uniforme et fluide signifie que l’encre est débarrassée de toute scorie granuleuse ou insoluble. Aussi, elle doit marquer le papier, soit en s’y imprégnant, soit en y laissant une trace qui sèche rapidement à la surface. Pour cela, elle doit posséder une coloration prononcée, sa puissance chromatique combinée à une valeur forte. Chimiquement parlant, l’encre est un précipité maintenu en suspension dans une liqueur incolore. Cette dernière doit avoir une densité telle que les fines parties du précipité s’y dispersent uniformément. Si ce n’est pas le cas, l’ajout d’un liant (ou épaississant) facilement soluble est nécessaire.